Le développement de l'esport amène à la création de nouvelles entités et au déploiement d'acteurs inconnus il y a peu. C'est ainsi que depuis environ deux ans, en France, les premières écoles et formations entièrement dédiées à l'esport sont apparues. Certaines s'intègrent dans des cadres déjà en place en proposant simplement une spécialisation esport, comme le Bachelor eSport et Gaming de l'école parisienne de communication et management ISEFAC Bachelor.
D'autres donnent naissance à la création de lieux dédiés, d'écoles tournant entièrement autour de la thématique du jeu vidéo compétitif. Suite logique et positive de l'évolution du secteur pour certains, mannes financières élaborées par des individus peu scrupuleux pour d'autres, les organismes de cette seconde catégorie continuent de diviser quant à leur intérêt et leurs objectifs.
Avant d'essayer de comprendre pourquoi ces écoles ne font pas l'unanimité, il faut d'abord différencier deux types : d'un côté, celles qui ne prennent pas en compte le côté joueur et ne préparent qu'à des métiers "classiques", avec une spécialisation dans l'esport. La Paris Gaming School précise par exemple sur son site web qu'elle "forme aux métiers de l’esport et non à jouer". Les élèves auront donc des cours en lien avec la gestion de projets, le community management ou le montage vidéo, selon leur spécialisation, mais ne seront pas formés à être "joueur professionnel".
De l'autre, il y a donc les écoles qui proposent des parcours pour devenir joueur professionnel. Ce sont celles-ci qui concentrent les interrogations et peuvent provoquer des levées de boucliers. Leurs plus célèbres représentantes se nomment la PowerHouse Gaming, à Mulhouse, ou l'Helios Gaming School, à Freyming-Merlebach, en Moselle. Si leurs cours se concentrent aussi sur les métiers généraux liés à l'esport, une de leurs particularités est d'offrir à leurs élèves la possibilité de se spécialiser dans un parcours joueur professionnel. Dans leurs livrets pédagogiques, cela s'illustre par la présence d'heures dédiées à un "entraînement intensif du jeu pratiqué", avec des sous-points consacrés à la connaissance du jeu, l'élaboration de stratégies, la communication lors des matchs, mais aussi la gestion d'une image publique ou encore l'entretien physique.
Le programme de la spécialité "E-sportif pro" à la PowerHouseGaming (cliquez pour agrandir)
Cette caractéristique, proposer des formations pour devenir joueur professionnel, cristallise les tensions liées à ces écoles. Deux raisons principales semblent sortir du lot. La première est purement financière : ces écoles sont chères. Pour un an de formation, comptez 8 000 € à la PowerHouse Gaming et 7 900 € à l'Helios Gaming School, frais d'internat et de déplacements en lan compris. Cette somme s'inscrit finalement dans la moyenne des coûts des écoles privées post-baccalauréat, mais elle semble très élevée pour le milieu encore naissant de l'esport. Débourser 10 000 € par an pour une école d'ingénieurs privée représente également beaucoup d'argent mais une fois sa formation finie, l'élève possède un diplôme solide qui pourra lui servir tout au long de sa vie.
En revanche, une fois l'école esport terminée, quelles garanties l'élève possède-t-il ? Un an suffit-il vraiment pour avoir ne serait-ce que les bases d'un jeu de professionnel ? C'est le second point qui fait beaucoup parler : la légitimité que possèdent ces écoles. Légitimité des intervenants (qui est assez qualifié pour donner des conseils afin de devenir joueur professionnel ? Comment définir ces critères ?), de la durée de formation (une seule année pour être formé à un métier, joueur pro ou autre, est très peu), du futur post-formation (quelle reconnaissance de la formation par l'État, ou même par les autres acteurs du milieu ? Une structure recrutera-t-elle plus facilement un joueur passé par là plutôt qu'un autre ?). Evidemment, l'année passée dans ces établissements ne sera jamais perdue puisque le cursus ne se résume pas à jouer. Mais pour un étudiant qui arrive avec l'ambition de devenir joueur professionnel, comment s'assurer qu'il aura des débouchés allant dans ce sens une fois la formation achevée ?
Les parcours des joueurs professionnels actuels sont extrêmement variés et il paraît impossible de déceler une voie classique pour arriver au sommet de la pyramide. Sur Counter-Strike, certains se sont fait repérer très jeunes en lan, d'autres via les ligues en ligne type FPL, d'autres en streamant intensément, mais aucun n'a eu un "parcours-type" qui serait reproductible à l'envie. Ces formations proposent de développer ce genre de parcours, pour faire en sorte que "joueur professionnel de jeu vidéo" devienne une orientation possible et fiable.
Les locaux de l'Helios Gaming School sont situés dans les locaux de l'école de commerce de Freyming-Merlebach
(crédit photo : Le Républicain Lorrain)
Les détracteurs avancent la volatilité du milieu esportif – qui n'en fait pas forcément un très bon cheval sur lequel parier lorsque l'on parle d'avenir professionnel à 18 ans –, un certain amateurisme dans la sélection des prétendants – recrutés uniquement parce que leur rêve est de devenir pro et non pas forcément car ils ont un réel talent pour l'être –, ou encore la volonté des investisseurs qui serait uniquement de se faire de l'argent sur le dos de parents et de jeunes naïfs. Ils se basent aussi sur les échecs qu'ont connu certains établissements de ce type, comme l'eSport Academy à Nantes, au centre d'un scandale il y a quelques mois après que des élèves aient dénoncé un manque total d'encadrement, des conditions de vie à l'opposé de ce qui était promis et une gestion financière bien obscure.
Les défenseurs de ces écoles mettent en avant l'importance d'une telle démarche pour la reconnaissance de l'esport auprès de l'État et des politiques, l'opportunité qui s'offre d'inscrire la compétition de jeux vidéo dans un cadre scolaire et étudiant, et la chance offerte à des jeunes ambitieux de pouvoir se consacrer pleinement à leur objectif vidéoludique pendant au moins une année, avec l'espoir que cela débouche ensuite sur quelque chose de sérieux.
Il est pour le moment difficile de juger la valeur et les résultats de telles écoles car elles sont toutes récentes. Les étudiants qui y sont passés sont peu nombreux et il est encore tôt pour tirer des conclusions sur l'impact que ces formations ont eu et auront sur leur avenir professionnel. Malgré tout, pour essayer de mieux comprendre ce nouveau phénomène et entendre l'opinion d'un acteur interne à ce type de projet, nous sommes allés interviewer Terence Figueiredo, fondateur et directeur de la PowerHouseGaming de Mulhouse. Il a évoqué sa vision des choses vis-à-vis des formations esportives, est revenu sur la création de son école et a donné son avis sur de nombreux sujets en lien avec le développement de l'esport. Tous les points abordés sont disponibles dans le sommaire juste en-dessous de la vidéo.
Interview réalisée en février 2018
Sommaire :
00:00 : Présentation de Terence Figueiredo
01:30 : Présentation de la PowerHouseGaming, les parcours proposés, les intervenants, etc.
05:55 : Explications plus détaillées sur la spécialisation "joueur professionnel"
08:10 : Les différences entre des formations classiques et celles proposées par l'école
10:15 : La situation actuelle des élèves de la première promotion (2016/2017) et le travail dans l'esport
14:25 : Les soutiens politiques de l'école et l'importance du politique vis-à-vis de l'esport
18:20 : L'avis de Terence Figueiredo sur l'association France Esport
19:15 : La reconnaissance des diplômes de l'école par l'Etat et le développement de l'esport-études
20:55 : L'implication des clubs sportifs classiques dans l'esport
22:10 : Les liens entre l'école et les éditeurs de jeux
23:15 : Le choix de la gaming house et la vie des jeunes dans cet environnement
26:40 : Le stage de fin d'études
28:05 : Les possibilités de bootcamp à l'école pour des équipes extérieures
28:55 : Les liens entre l'école, les PGSeries, Zilat et le festival Happy Games
35:00 : Les frais de scolarité de l'école, son business model et sa rentabilité
36:50 : Les différents partenariats de l'école
38:50 : L'échec de l'école nantaise The eSport Academy et les éventuelles retombées sur la PowerHouseGaming
43:05 : L'esport dans cinq ans
44:00 : Quelques conseils pour les jeunes voulant s'investir et travailler dans l'esport
45:05 : Les derniers mots
Chacun sera libre de se faire son opinion sur ces écoles et ces formations pour devenir joueur professionnel. Si vous êtes intéressés pour intégrer un cursus de ce genre, gardez en tête que, comme le précise Terence Figuereido, elles ne garantissent en rien un billet tout frais payé vers une carrière de joueur professionnel. Renseignez-vous sur les écoles, informez-vous sur les débouchés possibles, construisez un projet professionnel fiable. Bref, faites les choses bien !
Merci à Terence Figueiredo pour l'interview (interview menée par Maxime et montée par MiKY)
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