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Elle semble lointaine l'époque où Jérôme "NiaK" Sudries s'était déplacé jusqu'à Arles pour superviser personnellement un jeune prodige qui faisait ses premiers pas en lan. Cette époque, c'était fin 2011 et ce jeune prodige, c'était Kenny "kennyS" Schrub. Impensable alors de recruter un joueur quasiment inconnu dans l'une des meilleures équipes du monde sans qu'il ait fait ses preuves en lan. La preuve, la prestation individuelle très moyenne du jeune sniper lors de cette PxL Lan comparée à son niveau sur Internet lui avait, entre autres, coûté sa place chez VeryGames.
Aujourd'hui, la donne a bien changé. La montée en puissance de la société FACEIT dans l'écosystème CS:GO, particulièrement en Europe, a bouleversé les méthodes de détection des nouveaux talents. Avec l'ouverture courant 2015 de la FACEIT Pro League (FPL), la plate-forme a réussi un coup de génie en poussant les meilleurs joueurs européens à s'affronter en pick-up entre eux tout en leur agitant quelques billets verts en guise de cerise sur le gâteau. La pêche a été bonne et les dizaines de milliers de dollars mis en jeu chaque mois puis chaque semaine se sont avérés être un appât efficace.
En termes de communication, FACEIT a d'abord touché le jackpot. Si vous tombez sur le stream d'un joueur professionnel, il est fort probable que ce dernier diffuse ses parties en FACEIT Pro League. En additionnant les audiences de chaque joueur-streamer, il est facile de discerner un sacré potentiel marketing dont les responsables commerciaux de la société basée à Londres doivent se délecter.
36 000 viewers pour s1mple en FPL
Mais ce qui intéresse aujourd'hui est l'impact de la FPL sur le plan sportif. D'abord pensée comme un lieu de rendez-vous pour les joueurs professionnels, la FPL est rapidement devenue "the place to be" pour n'importe quel joueur ambitieux. Avant FACEIT, l'une des conditions préalables au succès était de parvenir à intégrer l'un des serveurs Mumble ou TeamSpeak dans lesquels s'organisaient des pick-ups avec des joueurs reconnus. La FPL a finalement institutionnalisé et internationalisé ce phénomène.
Pour que l'activité au sein de ce championnat très élitiste reste régulière, la FPL compte aujourd'hui plus de 240 participants. Si la majorité des joueurs professionnels du circuit sont de la partie, d'illustres inconnus ont réussi à se hisser jusqu'à ce club très fermé grâce à un cheminement mis en place par la plate-forme. Un parcours qui est en fait un véritable chemin de croix. Chaque mois, seuls deux joueurs obtiennent leur ticket pour la ligue. Il s'agit des seuls vainqueurs respectivement de la FPL Challenger (FPL-C, antichambre de la FPL avec plus de 200 joueurs) et du FPL Qualifier (ligue éphémère se déroulant sur un unique week-end avec plus d'une centaine de joueurs).
Avant d'arriver ne serait-ce que dans ces anti-chambres de la FPL, il est nécessaire de dominer l'un des différents championnats officiels tels que l'ECL qui donne, chaque mois, vingt places pour une qualification n'attribuant elle-même que cinq places en FPL Challenger. Notons quand même qu'il est possible pour un joueur semi-professionnel et/ou ayant déjà un petit palmarès à son nom de demander une invitation directe pour rejoindre la FPL-C, histoire de faire sauter de longs mois de jeu.
Un club fermé mais pas assez pour certains
Vous l'avez compris, décrocher sa place en FPL est l'objectif de beaucoup de jeunes pousses mais nécessite de littéralement manger le jeu durant plusieurs mois consécutifs. C'est tellement le cas que de plus en plus de jeunes joueurs se lancent à temps plein sur CS:GO sans même avoir d'équipe afin d'enchaîner les parties en ECL, en FPL-C puis en FPL. Tout quitter pour jouer des pick-ups, on vous aurait rigolé au nez il y a à peine quelques années.
Même une fois le Graal touché du doigt et une invitation en FPL reçue, il est nécessaire de continuer à être très actif au risque d'être rétrogradé. Jouer en FPL est devenu un véritable métier pour certains. Récemment, David "davidp" Prins s'étonnait de voir certains de ses derniers coéquipiers préférer jouer en FPL plutôt que de s'entraîner collectivement alors même que l'équipe possédait un slot en Mountain Dew League à défendre.
[...] On a essayé de pracc un peu mais finalement ça n'a pas trop fonctionné. En fait, ce qu'il faut savoir c'est que les gens en FPL veulent jouer pour gagner de l'argent. Ils ne sont pas comme devoduvek et moi qui voulons jouer en équipe, ils veulent try-hard la FPL, ils ont la flemme de pracc [...]. |
Mais alors pourquoi préférer la FPL aux entraînements classiques en équipe ? L'argument financier est indéniable. 20 000 dollars sont mis en jeu chaque mois et les quinze meilleurs peuvent prétendre à une part du butin (jusqu'à 4 500 $ pour le premier). Si l'on prend l'exemple du top 15 du mois de mars, seuls deux joueurs figurent parmi l'une des équipes du top 20 mondial de HLTV.org. Remporter potentiellement de 500 à 4 500 dollars chaque mois avec une équipe suppose que cette dernière soit capable de gagner des tournois relativement importants. Or ce n'est pas vraiment le cas pour beaucoup de joueurs terminant dans ce fameux top 15. Le calcul est donc vite fait : autant jouer en FPL pour espérer rentabiliser un minimum le temps passé devant l'écran.
Le top 6 du mois de mars 2020
Pour finir dans le top 15, il faut jouer. Beaucoup jouer. Le nombre de parties quotidiennes des membres du top 15 du mois de mars dernier s'élevait à plus de quatre en moyenne. Un chiffre curieusement tiré vers le bas par les joueurs professionnels obligés de consacrer du temps à l'entraînement avec leur équipe. À côté d'eux, les plus actifs affichent plus de 200 parties au compteur, soit près de sept parties journalières ! Un rythme effréné difficilement compatible avec le planning d'une écurie de haut niveau.
En plus des dotations financières mensuelles, la FACEIT Pro League est avant tout un formidable moyen pour se faire repérer. En introduction, nous vous rappelions cette anecdote avec NiaK et kennyS qui illustrait bien l'état d'esprit de l'époque. Aujourd'hui, il serait fort à parier que NiaK ne se serait pas embêté à prendre des billets de train. L'un de ses premiers réflexes aurait été d'ouvrir les derniers classements de la FPL pour voir les joueurs les plus en forme grâce au système de statistiques détaillées fourni par la plate-forme. Il aurait même pu télécharger toutes les démos d'un joueur pour obtenir un aperçu de ses positions fortes et de son style de jeu. Avec un peu de chance, NiaK aurait aussi pu obtenir les replays Twitch des parties et ainsi écouter la communication du joueur visé.
En clair, avec la FPL, il est désormais possible pour une équipe en quête de sang neuf de dresser un portrait détaillé de plusieurs joueurs ciblés sans même les avoir contactés. Un luxe pour un coach. Ces dernières années, les exemples de joueurs signés dans des équipes professionnelles après avoir été repérés en FACEIT Pro League se sont multipliés. En France, c'est comme cela que Team-LDLC a donné leur chance à deux joueurs inconnus mais performants en FPL en septembre dernier, les Albanais sinnopsyy et juanflatroo. Plus récemment, l'arrivée de Kévin "Misutaaa" Rabier chez Vitality aurait-elle eu lieu si ce dernier n'avait pas excellé en FPL quelques mois plutôt ? En remportant trois saisons de FPL consécutives en 2016, Mathieu "ZywOo" Herbaut est devenu l'objet de toutes les convoitises. Et ça, ce n'est qu'en France, alors imaginez un peu chez nos voisins européens ?
Le genre de tweet qui peut faire décoller une carrière
Faire son trou en FPL est gage d'une précieuse visibilité. Pour attirer les regards, les statistiques sont un outil majeur. Les joueurs l'ont bien compris et la structure déjà très individualiste de ce championnat en ressort d'autant plus renforcée. Ce constat en tête, difficile pour un joueur de ne pas adopter un style de jeu très égoïste, tant dans le choix de ses positions sur la carte que dans le jeu en lui-même. Et forcément, l'addition des individualismes et des égos ne fait pas bon ménage.
Récemment donc, le débat sur l'atmosphère au sein de la FACEIT Pro League s'est enflammé. Plusieurs joueurs, majoritairement professionnels et déjà largement reconnus, ont pris la parole, critiquant cette ambiance souvent néfaste aux enjeux collectifs. En prenant de l'altitude, on s'aperçoit d'un écart de perception grandissant entre les joueurs confirmés n'ayant plus rien à prouver et souhaitant simplement évoluer entre joueurs de haut niveau, et les jeunes pousses qui voient en la FPL une porte vers leur rêve de devenir joueur professionnel.
Avant, la FPL était plus calme et montrait un bel état d'esprit entre les joueurs de la scène du haut niveau. L'argent n'entrait pas en jeu. Enlever peu à peu ce côté exclusif a créé cette situation. Les jeunes pousses devraient être minoritaires, et non majoritaires. |
Comme le souligne le Suédois Robin "flusha" Rönnquist, pas connu pour avoir la langue dans sa poche, de moins en moins de joueurs du top niveau apprécient jouer en FPL. Certaines rumeurs annoncent même la création d'une nouvelle ligue plus exclusive et réservée seulement à la crème de la crème.
La FPL est administrée par des responsables de FACEIT mais également et surtout par un conseil de joueurs professionnels. Chaque mois, ils décident ensemble des éventuelles invitations accordées mais surtout des révocations. Ces dernières font de plus en plus débat dans ce contexte particulièrement délétère. Les raisons peuvent être multiples mais ne sont que très rarement publiées et donc souvent incomprises. Manque de communication, de sérieux, de respect ou simplement d'activité sont d'autant de motifs de relégation. Récemment, le champion de la FPL en titre, le Polonais Piotr "morelz" Taterka, a été évincé de la ligue aux côtés d'une dizaine d'autres joueurs. Un scénario qui a agité la communauté et nous a poussés à écrire ce billet.
Dans ce conflit aux trois parties prenantes, seules deux ont réellement une voix pour se faire entendre. D'un côté, FACEIT et ses dirigeants, propriétaires de la plate-forme, auront toujours le dernier mot. De l'autre, le conseil des joueurs ne représente finalement que les joueurs professionnels aguerris qui le constituent en très grande majorité. Quid des jeunes pousses méconnues récemment promues ? Qui protège leurs intérêts au sein de ce championnat ? Pourtant, c'est eux qui comptent le plus sur la FPL.
Top 15 du mois de mars (Les joueurs avec une croix rouge ont été évincés de la FPL)
En fait, la gouvernance de la FACEIT Pro League pose de plus en plus question. D'abord, le manque de transparence concernant les motifs d'éviction n'est pas digne d'une ligue aussi importante. Un conseil de quelques joueurs professionnels peut, du jour au lendemain, décider du sort d'un joueur en invoquant des raisons parfois bancales comme celui du "niveau insuffisant". Parmi les exclus de la dernière vague en date, six faisaient partie du top 15 du mois dernier. Niveau insuffisant donc ?
Si l'on y réfléchit même encore plus en profondeur, le modèle de gouvernance actuel de la FACEIT Pro League entraîne un potentiel conflit d'intérêts majeur, avec des joueurs professionnels – représentés par un conseil – qui dictent leur loi et qui n'ont pas vraiment intérêt de laisser briller de jeunes talents représentant une menace pour leur place dans leur équipe à moyen terme. N'oublions pas que les places dans la scène professionnelle valent très chères.
Il n'est tout simplement pas possible qu'une poignée de joueurs n'ayant aucun intérêt à intégrer des jeunes talents en FPL aient presque un pouvoir de vie ou de mort sur la carrière de jeunes aspirants. La situation actuelle doit pousser FACEIT à instaurer des règles objectives beaucoup plus claires, à adopter une communication largement plus transparente et à donner une voix à des joueurs dont l'accession en FPL représente un enjeu majeur. Bien plus majeur finalement que pour un joueur professionnel affichant un salaire à cinq chiffres et dont la FPL ne forme qu'un bonus post-entraînement.
FACEIT a promis des changements à venir. Affaire à suivre donc.
Version anglaise traduite par MrHusse, Tonxou, Spk, ToyToy
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