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La malédiction sans fin d'Astralis

Ce pourrait être un titre de film. Ça ne l'est pas. En revanche, c'est l'histoire d'une équipe à qui le choke colle à la peau. D'une formation qui s'écroule toujours au pire moment. D'un trio qui s'est toujours sorti des poules des Majors, pour ne jamais dépasser les demi-finales. D'un joueur classé troisième meilleur du monde en 2015 mais qui n'a jamais remporté un trophée digne de ce nom.

Cette histoire, c'est celle de dignitas, de Team SoloMid, d'Astralis. C'est celle de device, dupreeh et Xyp9x. C'est celle de la malédiction qui les suit et semble ne jamais vouloir les lâcher.

La montée en puissance chez dignitas

C'est fin 2013 que l'aventure commence. La meilleure équipe danoise de l'époque se réunit chez Copenhagen Wolves. Notre trio est là, accompagné par Nico, à l'époque l'un des meilleurs snipers du monde, et FeTiSh, emblématique leader de la scène danoise, ancien rival d'Ex6TenZ sur Source. C'est d'ailleurs toujours contre les VeryGames, qui l'avaient battu en finale de l'ESWC 2011, que CPH Wolves va échouer en quart de finale du tout premier Major de l'histoire, la DH Winter 2013.

Un résultat plutôt encourageant à l'époque, qui ne va pas empêcher cajunb de remplacer Nico peu après, juste avant que le cinq ne rejoigne une nouvelle structure où il va véritablement se révéler au grand jour : dignitas. C'est avec ce nouveau tag que l'équipe aborde le deuxième major, les EMS Katowice. Comme d'habitude, les poules sont aisément passées, avec une victoire sur les compatriotes de Reason (où joue un certain karrigan) lors du match des gagnants. HellRaisers est facilement écarté en quart de finale, voilà les Danois en demi-finale. Ils ne le savent pas encore, mais ce match ne sera que le premier d'un long calvaire lors de ces rencontres du top 4.

dignitas lors des EMS Katowice 2014 : cajunb, dupreeh, FeTiSh, device, Xyp9x

Face à Ninjas in Pyjamas, dignitas est encore bien trop tendre pour espérer quelque chose. Les Suédois sont en mission pour aller décrocher leur premier titre en Major et ne vont faire qu'une bouchée de device & co, se contentant de leur laisser onze rounds en deux cartes. Un mois plus tard, la revanche a lieu, toujours en demi-finale (évidemment) de la CPH Games. Chez eux, les Danois viennent de battre fnatic et s'avancent en confiance. Mais rien à faire, malgré une première carte qui partira en overtime, NiP l'emporte 2-0.

Déjà deux demi-finales perdues de suite, mais l'adversaire était à chaque fois favori. Plus le temps passe, plus les joueurs nordiques prennent de la bouteille et s'affirment comme une équipe à surveiller. Le temps d'un été, aizy arrive même dans la line-up en remplacement de cajunb. Résultat ? Deux nouvelles défaites en demi-finale. La première à la Gfinity 3, après avoir mené 1-0 contre Virtus.Pro. La seconde en Major, face à fnatic, après deux cartes très serrées finalement perdues 11-16 / 14-16, mais qui resteront plus dans les mémoires pour cette defuse dans la molotov d'olof que pour la performance danoise. dignitas rentre aussi dans l'histoire pour avoir perdu l'un des, peut-être même le round le plus célèbre de CS:GO, face à C9 et Hiko lors des poules de ce même Major.

Quatre revers au même stade de la compétition, cela commence à faire beaucoup. Ajoutez-y un cinquième lors des finales Fragbite Masters 3 après des défaites contre fnatic et Virtus.Pro, malgré le retour de cajunb, et le vase déborde. Il y a indéniablement un potentiel fou dans cette équipe, portée par un duo device - dupreeh qui impressionne, mais il ne parvient pas à ressortir lors des matchs décisifs. Lorsqu'il faut être très bon, lorsque les victoires et les trophées se jouent, dignitas bascule en mode "off".

Alors, que faire ? La réponse est simple : changer le commandant des troupes. FeTiSh est mis à pied, et pour le remplacer arrive… karrigan. Un changement qui fait débat tant l'ex-leader d'1.6 a du mal à performer sur la longueur sur ce nouvel opus, enchaînant les piges par-ci par-là sans jamais rien faire de probant. Pour beaucoup, ce n'est pas lui qui débloquera la situation.

Et en effet, lors des MLG X-Games, premier tournoi avec lui, le résultat reste le même : défaite en demi-finale. Dans une rencontre serrée face à LDLC, les Danois s'écroulent sur la dernière carte et laissent les Français aller décrocher le titre en finale contre NiP. Ce sera leur dernière apparition avec le maillot dignitas. Quelques jours plus tard, ils annoncent en effet avoir trouvé une nouvelle organisation pour les soutenir : Team SoloMid. L'occasion d'oublier tous ces échecs, de repartir de l'avant, d'enfin goûter à la victoire.

Le bronze aux X-Games, dernière performance de cette équipe sous le maillot dignitas

C'est ce que l'on espère. La réalité sera bien plus cruelle : leur parcours s'arrête en… demi-finale aux finales SLTV XII. Après avoir sorti Virtus.Pro et Titan lors de deux matchs de haute volée (une prolongation et deux 16-14), le rideau tombe contre NiP : 6-16 / 13-16, la finale ne sera pas non plus pour cette fois. Il faudra attendre une semaine de plus et la CPH Games pour voir l'équipe se hisser enfin, à domicile, dans le dernier match.

Le seul adversaire de poids de cette édition s'appelle Virtus.Pro. En finale du winner bracket, TSM remporte la première carte avant de perdre… 16-14. Deux fois. Après avoir mené 9-6 et 10-5. Qu'importe, la formation se reprend bien et se sort du loser bracket pour aller tenter sa chance en grande finale. Et s'incliner 16-14 encore une fois. Non, ce n'est pas un sketch, et les finales ESL Pro League perdues en demi-finale contre Titan 17-19 / 16-10 / 14-16 n'en sont pas non plus un.

Voilà le quotidien de la meilleure équipe danoise depuis un an et demi. Rivaliser avec les meilleurs, leur donner des sueurs froides, pour finalement perdre tous ses moyens dans les moments-clés. device a beau avoir franchi un cap en s'affirmant comme l'un des tous meilleurs du monde, rien n'y fait. Une fois la barre des 27, 28 rounds atteints, TSM n'y arrive plus. L'histoire semble se répéter inlassablement, sans aucune solution pour tourner la page.

Jusqu'à un jour d'avril. Finales des CG:GO Championship Series, à Bucarest. La Roumanie va apporter à karrigan et ses hommes les réponses à tous leurs doutes. TSM bat successivement fnatic et NiP 2-0, sans qu'aucune carte ne compte moins de 26 rounds joués. En grande finale, un double 16-11 contre fnatic offre au Danemark son premier titre international sur CS:GO. Voilà. Le déclic est arrivé. Team SoloMid peut devenir la meilleure équipe du monde.

Trois mois de rêve...

Que s'est-il passé là-bas ? Pourquoi lors de cette compétition et pas une autre ? Personne ne le sait vraiment, sauf peut-être les joueurs eux-mêmes. Et encore. Mais pendant trois mois, TSM va enfin pouvoir profiter de ce qu'on lui avait si souvent refusé : la victoire. Les succès s'accumulent. Aux finales FaceIt League, et malgré la perte de la première carte de la finale 16-1 contre NiP, les Danois, impassibles, restent sereins et remportent les deux autres maps. Ils font subir aux autres ce qui les a si souvent traumatisés. Bête noire de fnatic, ils remportent aussi les finales Fragbite Masters 4 et la deuxième saison de la FaceIt League.

Des Danois un trophée en main, une image bien rare

Un seul petit grain de sable va faire renaître les vieux démons : EnVyUs. L'équipe française va prendre un malin plaisir à rappeler à TSM sa faiblesse dans les matchs décisifs en la battant en finale des IEM Gamescom et de la DreamHack Londres. Mais plus embêtant, le cinq nordique s'incline aussi en demi-finale de l'ESL One Cologne contre ces mêmes mangeurs de baguette, ainsi qu'en finale de l'ESL Dubaï Invitational contre VP. Et ça, même la victoire aux finales PGL ne peut pas l'effacer.

"Ça", c'est la faculté des joueurs danois à perdre dans les événements importants. Au final, ils ont beau avoir remporté cinq compétitions en autant de mois, aucun de ces tournois n'était extrêmement côté. Ce sont toujours de belles lignes à ajouter au palmarès, mais en comparaison d'un Major ou d'un événement à 250 000 $, ça ne vaut pas grand-chose. Bref, les problèmes sont loin d'être résolus. Surtout quand c'est dès les quarts de finale du dernier Major de l'année que la formation se fait sortir, se heurtant à des NiP retrouvés contre lesquels elle ne pourra rien faire.

Pour ne rien arranger, une nouvelle finale perdue aux IEM San Jose et un dramatique enchaînement de trois demi-finales où rien ne fonctionnera, lors de la saison 3 de la FaceIt League, des finales Fragbite Masters 5 et des finales ESL ESEA Pro League S2, viennent gâcher les fêtes de fin d'année. Malgré un soubresaut d'avril à juin, TSM est retombé dans ses vieux travers et bloque de nouveau. D'autant plus que des tensions avec la structure apparaissent : les joueurs décident de partir de l'organisation américaine, arborant le tag "?" lors de leurs dernières apparitions en 2015.

Ce n'est que début 2016 que l'on connaîtra la nouvelle maison de la meilleure équipe danoise : Astralis. Une structure créée pour l'occasion par les joueurs, et dont ils sont eux-mêmes actionnaires. Le meilleur moyen de ne plus avoir de pression de la part d'une hiérarchie quelconque. Et de retrouver le chemin du sommet.

... avant un douloureux retour sur terre

Bon, tout ne va pas exactement se passer comme prévu. En fait, les choses vont même empirer. Un chiffre pourrait résumer ce constat : 75%. Soit le pourcentage de demi-finales perdues par Astralis durant ces onze premiers mois de vie. Elle n'atteindra que deux finales : à l'ESL Expo Barcelona, en étant la dernière équipe à céder face à fnatic, et aux finales Counter Pit League S2, où elle s'inclinera contre Na'Vi.

L'équipe s'avance à Cologne en portant le maillot
de dupreeh, alors aux urgences

Et il surtout faut ajouter à ça une énorme traversée du désert où, de mi-juin à fin novembre, les galères s'enchaîneront : dupreeh obligé d'être opéré de l'appendicite la veille d'un 1/4 de finale de Major, à l'ESL One Cologne ; une défaite en demi-finale (forcément) de la Power-LAN contre Heroic, lan danoise dont Astralis partait grand favori ; une seconde face à NiP lors de la SL i-League, malgré une avance de 16-6 / 11-4 ; une énième face à GODSENT, alors en pleine déconfiture, lors des qualifications pour la WESG, après avoir mené 16-5 / 13-2 ; la victoire de son concurrent dignitas à l'EPICENTER Moscou, l'autre équipe danoise devenant ainsi la première à donner à son pays un grand titre.

Résultat des courses : aucun top 4 international en six mois, une souveraineté nationale perdue, des regrets plein la tête après d'improbables défaites et une confiance peu présente désormais totalement disparue.

Évidemment, quand les choses vont aussi mal, un air de changement pointe le bout de son nez. Qu'on le veuille ou non. Et après l'arrivée de Kjaerbye pour remplacer cajunb, c'est désormais vers karrigan que tous les regards se tournent. L'ancien messie qui avait débloqué la situation est devenu indésirable. Il est écarté début octobre le temps que gla1ve, remplaçant tout trouvé pour avoir déjà joué avec l'équipe à Cologne en raison des règles de Valve concernant les transferts de joueurs, arrive. Un changement que device savait obligatoire.

Nous avons des objectifs que nous avons fixés ensemble, et si nous n'arrivons pas à les atteindre, il faut savoir agir en conséquence. Bien sûr, ce n'est jamais facile, mais il faut faire quelque chose. Nous devons réfléchir à la possibilité de changer de nouveau un joueur.

Mais le problème est que si nous n'arrivons pas à être meilleurs et que nous laissons traîner ces histoires de changement, les gens ne seront plus intéressés pour venir jouer chez Astralis. Si la situation prend cette tournure, alors nous aurons tout perdu.

Nicolai "device" Reedtz

gla1ve rejoint donc l'équipe. Avec lui, elle sort en tête de son groupe à l'ELeague en s'imposant contre SK Gaming, qui se bat alors pour la place de numéro 1 mondiale. Les Brésiliens se vengeront en demi-finale des IEM Oakland, au cours d'un match où les Danois auront pourtant mené 14-7 sur Train avant de prendre la marée, 14-16. La belle a lieu en demi-finale de l'ELeague. Sur Overpass puis Train, deux cartes fortes de l'équipe d'Amérique du Sud, la nouvelle formation de gla1ve explose enfin et s'offre une place en finale du deuxième tournoi le mieux doté de l'histoire de Counter-Strike. Face à OpTic Gaming, outsider inattendu, la victoire lui tend les bras.

Sauf que c'est Astralis. Qui trimbale près de trois ans de choke derrière elle. Alors quand OpTic revient à un partout en gagnant la seconde carte, on commence à trembler. Et quand les Nord-Américains s'envolent sur Overpass, la même map où Astralis avait roulé la veille, alors tout le monde se met à réaliser que c'est une nouvelle défaite, peut-être la plus dure de toutes, qui attend les Danois. Et l'ultime sursaut d'orgueil qui les feront remonter de 8-15 à 11-15 n'y changera rien. Comme d'habitude, Astralis a raté son rendez-vous avec l'histoire.

Rien ne semble pouvoir briser cette malédiction. L'équipe est encore jeune, pleine d'avenir, mais le trio dupreeh - device - Xyp9x a déjà subi tellement d'échecs et de désillusions qu'on ne sait pas combien de fois il pourra encore se relever. Une seconde chance attend le cinq aux finales de l'ECS S2, dans une semaine, avec leurs 750 000 $ de cashprize. Il faut qu'Astralis gagne.

Autrement, ce sera une année blanche. Uniquement remplie de regrets, de soupirs et de pleurs. Et qui aura un peu plus convaincu le monde de Counter-Strike que "choke" pourrait aussi s'écrire A-s-t-r-a-l-i-s.

 

Dignitas / TSM / Astralis en quelques chiffres, c'est, depuis début 2014 :

Crédit photo : Team Dignitas

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