Interview réalisée par MrHusse en février 2021
Comment tu t’es intéressé à la réalisation ? Est-ce que tu as toujours été centré sur CS ou est-ce que tu es passé par d’autres jeux ? J’ai découvert la réalisation en 2002. CS 1.5 était le jeu du moment et comme tous les ados, j’étais à fond dessus. Quand j’ai appris qu’on pouvait s’enregistrer en jeu, j’ai fait une démo perso, où je jouais sur fy_iceworld, et j’ai fait mes prises avec une version d’essai de Fraps. Les clips étaient affreux. Mon ordinateur n’était pas capable de faire tourner le logiciel donc tous les clips étaient à dix images par secondes. Je ne connaissais aucun logiciel d’édition (et j’étais un lycéen pauvre) donc j’ai tout balancé dans Windows Movie Maker et voilà, RedDawg The Movie était née. Ce fut le début de mon histoire d’amour avec la réalisation. Je n’ai jamais été vraiment intéressé par d’autres jeux parce que j’ai passé une décennie à ne faire que du CS. J’étais aussi convaincu que les outils de réalisation développés pour CS étaient bien meilleurs que ceux des autres jeux (à part pour Quake 3 bien entendu). Est-ce que tu t’es essayé à la réalisation en dehors de l’esport ? Juste après mes études, l’hôpital dans lequel je travaillais a entendu dire que j’étais aussi réalisateur. Ils ne savaient juste pas que c’était exclusivement sur les jeux vidéo. Ils m’ont embauché pour faire une paire de vidéos humoristiques de bienvenue pour les nouveaux employés. C’était marrant d’utiliser mes compétences dans la vraie vie. C’était aussi plus facile, ce qui ne fut pas pour me déplaire. À part ça, je fais aussi du montage pour Do Not Peek Entertainement (ndlr : une société de production dans l'esport et le gaming) et je mets à profit mon expérience en réalisation en dehors des jeux vidéo de temps en temps.
D’après toi, quelles sont les difficultés spécifiques à la réalisation sur CS comparé à des domaines plus classiques ? Sur CS, il faut être créatif en permanence. Dans le cinéma traditionnel, les plans statiques sont relativement standards, pour des raisons évidentes. Les transitions brutes et les coupures entre chaque plan sont aussi normales, attendues. Avec CS, en revanche, des caméras fixes vont rapidement ennuyer les spectateurs et perdre leur attention. On est obligés d’avoir des plans dynamiques, des transitions complexes qui maintiennent un niveau de créativité élevé, et c’est devenu le standard pour les vidéos CS de qualité. Est-ce que tu penses que l’émergence du streaming, avec la possibilité de faire des clips instantanément, a fait mal au moviemaking ? Avant Twitch, les fragmovies n’étaient pas seulement distrayantes, mais aussi informatives. C’était le seul moyen de voir les meilleurs frags d’un match professionnel. Qui plus est, elles étaient un témoignage de leur époque. Les fragmovies permettent de célébrer les grands moments de l’histoire de CS. Malheureusement, elles ont perdu cette magie et les réalisateurs cherchent surtout à monétiser leur contenu. Avec Style-Productions, on essaye en permanence de ramener le feeling des fragmovies d’avant, pour leur rendre ce statut à part. Quelles sont les vidéos qui t’ont donné envie de t’essayer à la réalisation au début ? Est-ce qu’il y a d’autres réalisateurs que tu considères comme des influences importantes ? En fait, je n’ai commencé à regarder des vidéos CS qu’après ma troisième vidéo. Il n’y a pas vraiment de vidéos qui m’ont inspiré au départ. Naturellement, comme beaucoup de réalisateurs de ma génération, Michael "kaLa" Weicker fut probablement celui qui a eu le plus d’influence. À part ça, le brillant Daniel "Xyanide" Hagelin, mon meilleur ami, a toujours été et continue d’être mon modèle depuis le début des années 2000.
Alors que les vidéos CS sont de plus en plus créatives, avec beaucoup d’effets spéciaux, ton style reste plus traditionnel, proche de ce qu’étaient les anciennes vidéos. Qu’est-ce que tu penses de ce nouveau style de réalisation ? Je pense que les vidéos dont tu parles sont un petit peu superficielles. Les créateurs utilisent des effets pour masquer leur incapacité à monter et réaliser correctement. Ceci étant dit, je pense que ce sont des personnes extrêmement talentueuses dans leurs champs respectifs. Si on pouvait combiner leurs talents avec quelqu’un qui s’y connaît en rythme, en cadrage, bref en réalisation, on pourrait sortir une des meilleures vidéos de l’histoire. Il y a peu, on a publié un article sur la légendaire Choual History X, et l’un des points majeurs de l’analyse était l’influence du cinéma traditionnel sur cette vidéo. Est-ce que tu inclus le même genre de références cinématographiques dans tes vidéos ? Qui sont tes réalisateurs favoris ? Quand j’ai commencé le montage, j’étais très influencé par David Fincher et Darren Aronofsky. Pendant mon adolescence, j’ai vu et revu des films comme Seven, Fight Club, Pi et Requiem for a Dream. Depuis, je dirais que mon style a évolué et s’est rapproché de ce qu’on peut voir chez Peter Jackson et Paul Thomas Anderson. J’adore faire des plans dynamiques, des trackings qui commencent très larges avant de se resserrer sur le sujet. Je trouve aussi les plans-séquences très difficiles à réaliser mais vraiment satisfaisants quand ils sont réussis. Paul Thomas Anderson a toujours été très fort sur ce genre d’aspect, notamment dans Magnolia. Comment est-ce que tu choisis la bande-son de tes vidéos ? Dans les années 2000, le rock dominait les vidéos CS, alors qu’aujourd’hui on a l’impression de n’entendre que de l’électro. Jusqu’à quel point peux-tu te permettre d’être créatif dans ce domaine, tout en continuant de toucher un large public ? Le processus pour sélectionner une bande-son dépend vraiment des possibilités offertes par la chanson en termes de synchronisation, sans pour autant être répétitive. Il y a quelques critères basiques que je fixe lorsque j’écoute des chansons, mais la plupart des décisions se fait à l’instinct : est-ce que je vais toujours aimer cette chanson dans six à douze mois ? Est-ce que le public l’aimera toujours ? Le rock était important dans les débuts de la réalisation sur CS. C’était le genre dominant de 2001 à 2004 d’après moi. Depuis, la musique électro a vraiment pris le dessus. Je pense que c’est principalement dû aux variétés de fréquences et aux possibilités de synchronisation plus dynamiques. Le rock, avec tous ses instruments qui occupent les basses, les mediums et les aigus, ne laisse pas beaucoup de place aux tirs et aux effets spéciaux, sauf si tu le compresses énormément. La musique électronique est juste plus propre et, surtout, plus dynamique et variée, notamment dans les mélodies au sein d’une même piste. Comment vois-tu l’avenir de la réalisation sur CS ? Qu’est-ce que tu vois comme la prochaine étape majeure dans le champ, qui pourrait ouvrir de nouvelles possibilités créatives, que ce soit d’un point de vue logiciel ou stylistique ? Je pense que les vidéos CS ont le potentiel de devenir encore plus cinématographiques et épiques. C’est la prochaine évolution. Avec Daniel (Xyanide), on essaye de repousser cette limite avec notre série Echoes, mais il y a toujours de la place pour faire mieux. Certains détails, concernant les jeux de particules et de lumière, vont également être amenés à progresser pour améliorer l’immersion des spectateurs, malgré un moteur de jeu de 17 ans. Je pense aussi qu’une bonne manière de franchir un nouveau palier sera de combiner les compétences d’un réalisateur avec le talent d’un artiste 3D. Si ces deux forces peuvent sortir de leurs chambres d’écho et mettre leurs forces en commun, il n’y a pas de limites à ce qui est faisable. Tout ceux qui ne feront pas ça seront à la ramasse. |
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