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Anvers sans Molière

Aucune équipe ne parlera français au PGL Major Antwerp. Il y aura sûrement quelques "allez !" et "putain !" lancés de-ci de-là puisque cinq tricolores (apEX, ZywOo et misutaaa chez Vitality, JACKZ chez G2 et shox chez Liquid), six en comptant coach XTQZZZ chez G2, feront le déplacement en Belgique, mais pas une seule formation ne se motivera à coups de "on les défonce" ou de "ils sont nuls", pour rester poli. Et ce sera une première, en 17 Majors et neuf ans de Counter-Strike: Global Offensive.

Est-ce étonnant ? Pas vraiment. Il suffit de regarder l’évolution du nombre d’équipes baragouinant dans notre bonne vieille langue lors des Majors pour se rendre compte qu’au fil des années, le trois a laissé sa place au deux avant que le un ne fasse à son tour son apparition. À ce rythme-là, il était inévitable que le zéro pointe un jour le bout de son nez.

Évidemment, certains moqueront cette statistique, arguant qu’à deux rounds près, HEET aurait gagné son billet pour Anvers et que cet article n’aurait jamais existé. Mais voilà, HEET n’a jamais inscrit ces deux derniers rounds, Astralis a laissé bodyy en pleurs et les fans du Petit Robert n’auront plus aucune raison de regarder la prochaine grand-messe de CS:GO.

L’absence du français au Major n’est pas juste un "fun fact" qui prête à sourire. Elle est le symbole du lent déclin que connaît notre scène nationale, désormais uniquement représentée dans la plus prestigieuse des compétitions par trois quasi-trentenaires, un petit jeune qui s’accroche chez Vitality et un phénomène qui réalise pour le moment sa pire saison, bien qu’on lui pardonne allègrement cet écart.

Passage de témoin raté et soutien absent

Cette situation est le fruit d’une décennie de manque de formation, de la part des anciennes générations vers les nouvelles, qui n’a pas permis l’émergence d’une réelle continuité entre les cannibales de CS:Source qui archidominaient leur scène et ont brillamment réussi la transition vers CS:GO, et les plus jeunes ayant véritablement découvert la scène compétitive avec Global Offensive, qui avaient besoin d’être accompagnés sur la voie de l’apprentissage professionnel, tant en jeu qu’en dehors.

Il y a eu un petit moment sur Source où tout le monde se transmettait des choses, ça allait vite parce que la scène était très petite. Sur GO, la scène a grossi, les noyaux de joueurs se sont éparpillés et les bons sont restés avec les bons, ce qui a créé un gap.

Quand je parlais avec wasiNk, il me disait qu’il avait longtemps cru que la plupart des équipes jouaient avec des control maps simples. Mais en fait, il a réalisé qu’elles avaient des control maps spécifiques ! Je lui dis « tu crois qu’en 2008 on n'avait pas des control maps spécifiques ? » Évidemment que les control maps sont travaillés de A à Z ! Ton binôme banane, il a cinq ou six prises différentes ! Ton binôme appartement, pareil ! Et selon ce que tu fais ensuite, t’as deux ou trois façons de le faire. Tout ça, c’est des calls travaillés en amont. Chaque action a une réaction déjà prévue à l’entraînement. Lui, il savait pas que c’était aussi poussé que ça, il pensait que c’était beaucoup plus improvisé.

Aujourd’hui, il y a plein de mecs dans le subtop qui n’ont pas eu cette chance d’avoir la transmission de connaissances des joueurs au-dessus.

krL en mars 2021

Longtemps accusé d’entre-soi, le top français ne s’est ouvert que tardivement aux petits nouveaux en provenance de l’étage inférieur. L’histoire retiendra le printemps 2016 comme un tournant avec les recrutements de DEVIL chez EnVyUs et bodyy chez G2. Ces deux-là ont ouvert la porte à quelques autres ensuite (xms en 2017 puis hAdji en 2018 chez EnVy, Lucky et JACKZ chez G2 en 2018, ZywOo et ALEX en 2018, puis misutaaa en 2020 chez Vitality), mais les succès sont restés rares et le renouvellement faible, ne parvenant pas à devenir récurrent.


DEVIL, symbole du joueur subtop "qui a percé", finalement en vain

Aujourd’hui, la professionnalisation n’aidant pas, les relations entre top et subtop sont plus distantes que jamais et ne semblent pas devoir se raffermir à l’avenir.

Je dois avouer qu’il n’y a pas grand-chose qui m’emballe en dehors de Vitality. J’aime bien Djoko chez DBL PONEY, je trouve qu’il a différentes qualités, qu’il a un bon équilibre dans son jeu. J’ai entendu dire qu’il était même capable de lead. Mais à part lui, je ne vois pas grand-chose d’excitant sur la scène. Et c’est un problème depuis longtemps, il y a peu de joueurs qui sortent en France comparé à des pays comme le Danemark.

Ex6TenZ en juin 2021

Au milieu de ce marasme, le point positif reste l’émergence toute récente au sein du subtop européen de HEET et Falcons, deux équipes bien francophones qui bataillent de toutes leurs forces pour se faire une place au niveau au-dessus. Les afro, Djoko, Ex3rcice et autres Python n’ont peut-être pas encore réussi à se frayer un chemin parmi les grands de leur monde, mais ils portent avec eux les nouveaux espoirs d’une communauté française qui ne rêve que de revibrer en supportant en play-offs de Major un cinq qui hurle "BLANC !" lorsqu'une flash explose.

Mais la faute ne repose pas entièrement sur les joueurs. Les structures ont également leur responsabilité dans ce déclassement. Les grosses organisations françaises, toujours frileuses à investir sur un jeu qui parle d’une bombe qui explose et de terroristes parce qu’il ne faudrait pas choquer les sacro-saint sponsors, ont eu tendance à revoir leurs priorités au fil des années, alors qu’elles n’étaient déjà pas nombreuses à se positionner sur CS.

LDLC, après plusieurs saisons de galère, a laissé tomber les premiers rôles pour se concentrer sur la formation des talents de demain, dans un projet de très long terme, ce qui n’est pas plus mal si cela permet de faire émerger, de manière pérenne, de futures pépites. Vitality, qui ne cache pas ses ambitions de domination et sa volonté d’expansion commerciale à l’international, n’a de son côté pas hésité à virer de bord pour aller débaucher deux Danois et faire disparaître la dernière line-up qui parlait français parmi les meilleures du globe.


La nouvelle alliance franco-danoise

Derrière, le néant. Personne n’est présent pour accompagner les formations françaises qui touchent au but, là où le Danemark (au hasard) peut par exemple compter sur CPH Flames, Tricked ou encore MASONIC. Dans ce contexte, c’est un miracle que DBL PONEY n’ait pas disband tant elle a passé du temps seule. Alors on finit par se tourner vers des organisations étrangères pour qui, forcément, le drapeau bleu-blanc-rouge n’est pas du tout une priorité. Après trois ans de fidélité, G2 a ainsi délaissé le Larousse pour se tourner vers son équivalent serbe, bosniaque puis russe, laissant ce pauvre JACKZ, probablement le pire anglophone possible, se débrouiller avec ses nouveaux coéquipiers.

Tant qu’il y a de la vie

La scène française a-t-elle déjà atteint son point le plus bas ou va-t-elle continuer à creuser ? Et surtout, plus important, peut-elle rebondir et ramener au sommet une vraie formation de son cru, LV1 français certifié ? Va-t-on continuer à suivre la Suède, embarquée dans une situation très similaire à la nôtre avec des structures qui commencent à aller piquer des joueurs à l’étranger (NiP au Danemark avec device et es3tag, fnatic – organisation britannique mais qui a supporté pendant quasiment quinze ans ininterrompus des formations suédoises – en Europe), et qui peine elle aussi à afficher ne serait-ce qu’un représentant national au Major ? Va-t-on emprunter la route de la Pologne, incapable de se relever depuis la dissolution du cinq historique de Virtus.pro, il y a plusieurs années de cela, et qui n’a pas eu une line-up complète en Major depuis le FACEIT Major London 2018 ? Ou essaie-t-on plutôt de s’inspirer du Danemark, de ses trois formations 100 % terroir à Anvers (Astralis, Heroic et CPH Flames), de ses 20 représentants qui feront le déplacement en Belgique et de sa colossale densité de nouveaux joueurs à gros potentiel ?


Même leurs supporters en imposent, ici au PGL Major Stockholm

À différents niveaux, tout le monde peut apporter sa pierre. Joueurs, jeunes comme anciens, structures, professionnelles comme amateurs, organisateurs de tournois, diffuseurs, créateurs de contenus, tous œuvrent finalement à la même chose : faire vivre Counter-Strike en France et perpétuer la tradition dans un pays qui a longtemps eu une place centrale sur la mappemonde de cet incroyable jeu vidéo.

Lambert et Krav avec la nouvelle génération de LDLC, krL et ses multiples line-up GenOne, flex0r et ses poulains chez Wonderkids, même bodyy qui a décidé de prendre le lead à charge et de croire en son projet coûte que coûte, embarquant avec lui les espoirs que sont afro, Djoko et Ex3rcice : la scène française ne domine peut-être plus le monde, mais elle peut toujours compter sur quelques fidèles déterminés pour essayer de se construire un futur. Tant que ceux-là existeront et poursuivront leur travail, aussi ingrat soit-il, il y aura une raison d’y croire. Et si cela pouvait en inspirer d’autres à en faire de même, un joli cercle vertueux pourrait voir le jour.

Alors oui, aucune équipe ne parlera français à Anvers. Mais apEX gueulera bien de temps en temps dans sa langue maternelle, ZywOo et misutaaa s’échangeront des infos de la manière qui leur semble le plus naturel possible lorsqu’ils se retrouveront en 2vsX, et il sera impossible de ne pas distinguer le bon accent franchouillard de JACKZ et shox sur leur TeamSpeak respectif. Et puis VaKarM sera sur place afin de permettre aux interviewés tricolores de partager un mot de la fin supplémentaire avec leur public. En espérant, nous aussi, des jours meilleurs pour cette scène française qui nous a déjà donnés tant de succès incroyables, de défaites frustrantes, de dramas improbables et d’émotions grandioses.

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