Depuis quelques temps, les BLAST Pro Series encaissent une vague de critiques de la part d'acteurs de la scène et d'une partie du public, sur les réseaux sociaux comme sur les sites spécialisés. Si, évidemment, ce sont toujours les mécontents qui font le plus de bruit, il est tout de même intéressant de se pencher sur la question pour voir ce qui peut déclencher une telle ire envers un organisateur qui, sur le papier, souhaite simplement faire sa place et participer au développement de la scène.
Cette exaspération se manifeste notamment depuis l'annonce de la mise en place d'un circuit BLAST. Jusque-là, ces événements étaient indépendants les uns des autres et restaient relativement peu nombreux : un en 2017, trois en 2018. Le rythme s'est accéléré en 2019 avec déjà trois compétitions jouées, plus une autre prévue pour juillet. BLAST a rapidement justifié cette progression en dévoilant la mise en place d'un véritable circuit, devant comporter sept étapes annuelles et menant à des grandes finales en décembre. Une déclaration qui en a irrité plus d'un, débouchant sur ce climat assez hostile. L'occasion pour tous les détracteurs de dire tout haut ce qu'ils pensent véritablement de ces tournois et de leur organisateur.
Un format critiqué
La première chose souvent pointée du doigt, la plus accessible, concerne le format des compétitions BLAST. Depuis le premier événement, en novembre 2017, il n'a pas changé : six équipes en lice s'affrontant en round-robin (chacune rencontre donc tous ses adversaires une fois), entièrement en Bo1. Une victoire rapporte trois points, un match nul un point, une défaite zéro point. Une fois que tout le monde a disputé ses cinq rencontres, les deux premiers du classement passent en finale, jouée elle en Bo3. Le gagnant de la finale est le vainqueur du tournoi.
Le format est donc particulièrement atypique. Contrairement aux autres événements à 250 000 $ (cashprize mis en jeu à chaque étape BLAST), on note ici une profusion de Bo1 et un seul Bo3 à disputer, en finale. Le nombre de maps à jouer, et à gagner, reste également relativement faible, même pour l'équipe qui va au bout. Lors de la BLAST Pro Miami, en avril 2019, FaZe a raflé le titre en remportant cinq cartes : trois durant le round-robin et deux en finale. En comparaison, cinq, c'est le minimum de maps à gagner pour venir à bout des play-offs d'un ESL One ou d'un IEM, le chiffre pouvant grimper à six pour un Major ou une DH Masters. Et ce sans même compter la phase de poules, qui peut permettre d'atteindre la dizaine.
FaZe à Miami : 5 cartes gagnées, 125 000 $ dans la poche, ça fait 25 000 $ la carte
Bref, le format est donc critiqué non pas pour son originalité mais pour son "laxisme". Avec des Bo1 en grande quantité et un nombre si faible de maps jouées par chacun, il est difficile de savoir si une équipe vainqueur le méritait vraiment et si elle n'était pas juste dans un jour favorable ou chanceux. Même si les meilleures formations du monde participent, il peut être compliqué de tirer des conclusions sur leur état de forme une fois le tournoi fini. Plus que jamais, les BLAST semblent encourager le "momentum" et le fait d'être bon un jour précis, et non pas la régularité.
Cela d'autant plus que l'intégralité de l'événement tient en deux jours, contrairement à quatre voire sept pour la majorité des compétitions du même cashprize. Cela est évidemment préférable pour les joueurs, qui sont moins accaparés par un seul tournoi, et pour le spectacle, avec davantage de matchs en un jour, mais pas pour les résultats finaux. Lorsqu'il est apparu, ce format semblait rafraîchissant et original, tant qu'il restait occasionnel. Mais à le voir une fois tous les deux mois pendant un an, ses limites sautent aux yeux bien plus que ses avantages.
Dernière chose sur le format, avec deux jours pour faire tenir 15 Bo1, un showmatch (joué entre le round-robin et la finale) et une finale en Bo3, les BLAST sont obligés d'opter pour le multi-stream, avec trois matchs disputés simultanément durant le round-robin. Pour les spectateurs, ce n'est évidemment pas l'idéal puisque c'est la garantie de rater quelques belles affiches ou certains matchs de leurs équipes favorites, si deux d'entre elles jouent en même temps.
Les conflits d'intérêt
C'est l'un des gros points noirs du tableau, forcément. Les BLAST Pro Series sont organisés par RFRSH Entertainment. Or, cette société danoise est aussi la propriétaire d'une équipe sur la scène CS:GO : Astralis. Donc, quand Astralis est invitée à tous les événements BLAST (7/7 pour le moment), cela ne peut que faire sortir de leurs gonds les défenseurs de l'éthique. Alors que, bien que largement contestable, ce conflit d'intérêt est loin d'être nouveau sur la scène Counter-Strike.
Derrière l'EPICENTER se cache par exemple la société russe ESForce. Et derrière Virtus.pro, qui y a-t-il ? ESForce aussi. Il est alors pertinent de noter que Virtus.pro a été invitée à participer aux trois éditions de l'EPICENTER ayant eu lieu sur Counter-Strike (dans le tournoi principal pour les deux premières, à la qualification offline pour la troisième). ESForce était également l'actionnaire principal de SK Gaming et en liens étroits avec Na'Vi, mais a rompu ses deux collaborations lorsque la WESA, World Esports Association, n'a autorisé une entité à ne plus posséder qu'une seule équipe. C'est d'ailleurs pour cette même raison que RFRSH s'est séparé de GODSENT et Heroic, ne gardant qu'Astralis sous son aile.
RFRSH possède aussi Origen, une structure basée sur League of Legends, en plus d'Astralis et des BLAST
Mais ce n'est pas le seul type de conflit d'intérêt qui peut interroger. Par exemple, l'entreprise espagnole Movistar est partenaire de RFRSH pour l'étape de Madrid. Et l'équipe des Movistar Riders est aussi présente lors de cette escale espagnole, pour la qualification ibérique, même si elle a gagné son slot grâce à sa première place actuelle dans le Championnat national ibérique et non grâce à ce partenariat (du moins, espérons). Mais là encore, les conflits d'intérêt entre organisateurs, équipes et sponsors, ça ne date pas d'aujourd'hui. En 2016, le constructeur de périphériques Logitech était en collaboration avec ESL, mais aussi des structures de renom comme Cloud9. Favoriser les invitations de ces dernières lors d'événements ESL devient alors une possibilité sérieuse à étudier pour tout féru de petits arrangements.
Ce genre de pratiques est malheureusement presque devenue "commune", et les dénoncer est une bonne chose. Mais pourquoi le faire contre RFRSH particulièrement, et délaisser les autres ? La société danoise semble payer plusieurs choses ici, de manière plus ou moins juste. D'abord, Astralis étant la numéro 1 mondiale incontestée depuis plus d'un an, certains s'agacent. Tout est bon pour trouver ses points faibles. Son omniprésence dans les tournois BLAST, organisés par son entreprise propriétaire, est du pain béni pour les détracteurs, qui peuvent discréditer sa domination par la présence flagrante d'un conflit d'intérêt sur certains tournois. Ensuite, RFRSH est, malheureusement pour elle dans ce cas de figure, assez reconnue. Une bonne partie du public sait qui elle est, ce qu'elle fait, et les conclusions à tirer ensuite sur ses activités sont donc accessibles à un grand nombre. Là où ESForce, au contraire, demeure encore dans l'ombre pour beaucoup.
Dans un monde idéal, ces situations de conflit d'intérêt ne devraient évidemment pas se produire. Mais elles sont déjà arrivées par le passé et continueront de se produire à l'avenir. Et il est difficile de "plaindre" RFRSH sur ce point, qui paie simplement là sa volonté d'être présente à différents échelons sur la scène.
Mais en dehors de son format contestable et de ces conflits d'intérêt bien visibles, ce qui a vraiment mis le feu aux poudres, c'est donc l'annonce par RFRSH de ce circuit BLAST, étalé sur l'année, avec pas moins de sept étapes prévues.
La crainte d'un monopole
Donc, les BLAST lancent leur circuit, et pourquoi une telle levée de boucliers, alors qu'il en existe déjà d'autres comme la DreamHack Open ou les IEM ? Sans doute parce que RFRSH a annoncé avoir conclu des partenariats avec certaines équipes, plus précisément sept d'entre elles, et pas les moins fortes (Astralis, NiP, FaZe, Liquid, MiBR, Na'Vi, Cloud9), pour assurer leur participation et les convier en exclusivité à des finales annuelles. Une collaboration officielle entre un organisateur et des équipes, cela fait évidemment remonter la crainte d'un monopole, les formations concernées privilégiant alors les tournois de leur partenaire au détriment d'autres, même si ces autres sont plus réputés ou plus prestigieux.
Cette peur a été rapidement appuyée par la non-participation d'Astralis aux IEM Sydney et à la DreamHack Masters Dallas, alors que la line-up danoise était pourtant bien, entre les deux, à Madrid pour l'étape BLAST espagnole. La coïncidence était trop belle pour ne pas soupçonner Astralis d'avoir séché les deux autres événements, pourtant bien plus clinquants avec 16 équipes en lice et un format plus "méritant", afin de privilégier la compétition espagnole faisant partie du circuit BLAST et organisé par sa maison-mère.
Avant de se monter la tête, rappelons-nous tout de même que la formation triple vainqueur de Major défend maintenant depuis un moment l'idée de "voyager moins", pour ne pas passer son temps sur la route, économiser son énergie et garder ses joueurs au maximum de leur forme, notamment device, régulièrement sujet à des problèmes médicaux. Par le passé, l'équipe avait déjà fait sauter de gros tournois, comme l'ESL One Cologne 2017 ou l'ESL One New York 2018. Peut-être que son choix d'aller à Madrid et de délaisser le reste a été influencé par ce nouveau circuit BLAST, mais de là à dire qu'il s'agit de l'unique raison, il y a un grand pas que la mentalité danoise de ces dernières années persuade de ne pas faire trop rapidement.
Sadokist, caster bien connu, et zonic, coach d'Astralis, avaient quelque peu échangé sur l'absence d'Astralis à certains gros tournois, le premier reprochant notamment à l'équipe danoise d'avoir été présente à São Paulo pour la BLAST ayant eu lieu là-bas malgré sa volonté de réduire ses déplacements :
Sadokist : "Je vois très bien comment 3 jours de voyage pour aller à São Paulo et y jouer 2 jours peuvent être bénéfiques pour des soi-disant « problèmes de santé ». Circulez tout le monde, pas de conflits d'intérêt ici."
zonic : "Passer du temps avec sa famille et avoir la vie la plus « normale » possible est aussi un facteur à prendre en compte. En fin de compte, il y a une grande différence entre partir pour 5-6 jours et ne pas être là durant 10-11 jours. Je serais un peu déçu si vous n'êtes pas tous d'accord avec ça".
Cette problématique tend toutefois à ne plus se limiter à Astralis. Team Liquid pourrait ainsi faire sauter l'ESL One Cologne cet été car elle sera aux BLAST Los Angeles, dont le début est cinq jours à peine après la fin de l'événement allemand. Or, entre l'ESL One Cologne, l'un des événements les plus attendus du calendrier, et les BLAST Los Angeles, il est censé ne pas y avoir photo sur le tournoi à privilégier en temps normal. La multiplication de ces désertions des plus grandes compétitions pourrait rapidement poser question si elle se confirme à l'avenir.
La crainte d'un monopole s'établit aussi par rapport aux critiques précédemment évoquées : personne n'a envie de voir les meilleures équipes du monde s'affronter uniquement en Bo1 lors des BLAST, puisqu'elles seraient potentiellement incapables de se retrouver ailleurs en raison de ce partenariat signé qui les inciterait à ne plus jouer tout le reste. Ce constat, les organisations, les équipes, les joueurs eux-mêmes en ont conscience. Et ils n'ont aucun intérêt à en arriver là, que ce soit pour garder leur aura auprès de leurs fans, pour des raisons évidentes de prestige compétitif, et même pour leurs sponsors, qui verraient sans doute d'un mauvais œil leurs équipes sponsorisées disparaître peu à peu des grands tournois pour se concentrer uniquement sur les BLAST.
En fait, à part RFRSH, qui multiplie ses tournois et sa présence médiatique, personne n'a vraiment d'intérêt à ce qu'un monopole soit mis en place. Évidemment, pour les sept équipes partenaires, cela garantit une présence régulière à une compétition offrant un quart de million de dollars. Mais ces tournois, en l'état actuel, ne font rêver personne, que ce soit par leur format ou les multiples critiques qui les entourent. Dans le calendrier, une BLAST n'arrive pas à la cheville d'un Major, évidemment, ni même d'un ESL One, d'un IEM ou d'une DH Masters. Ce circuit fermé est également défavorable à toutes les équipes qui n'en font pas partie, soit une énorme majorité, et aux autres organisateurs, confrontés à un nouveau concurrent prêt à conclure directement des contrats avec les formations pour assurer leur présence, quitte à empiéter sur leurs propres tournois comme ce fut récemment le cas pour ESL.
Alors, faut-il avoir peur ?
Pour le moment, cette initiative de RFRSH n'est probablement pas une menace pour la scène. En revanche, il faudra rester attentif à l'évolution de ce schéma et surtout aux réactions des autres acteurs engagés dans la création de tournois. S'ils se mettent eux aussi à adopter ce modèle de contrat passé avec les équipes, il sera temps de s'inquiéter, surtout si ces contrats interdisent de participer à d'autres compétitions en parallèle. Si, de son côté, RFRSH élargit le cercle des formations sous contrat durant les prochaines années, il sera temps de s'inquiéter. Si l'organisateur modifie également le format de ses compétitions pour tendre vers du plus "traditionnel" et gagner en prestige, s'affirmant ainsi comme l'égal d'un ESL One ou d'une DH Masters, il sera temps de s'inquiéter. Bref, si les frontières de la scène se solidifient concrètement, que ce soit entre les différents organisateurs ou entre les différents niveaux, il sera temps de s'inquiéter.
Parce que depuis toujours, les tournois sur la scène CS:GO fonctionnent selon un modèle très ouvert, où les invitations et les qualifications se mélangent, où, hypothétiquement, tout le monde a sa chance de participer à n'importe quelle compétition, et où un gros chèque ne suffit pas pour assurer sa place au sein d'un circuit fermé durant les X prochaines années. C'est un modèle de plus en plus rare, qui tend à disparaître au vu de l'instauration de franchises sur League of Legends ou Overwatch. Mais plus qu'une singularité, il est aussi la preuve que la scène CS continue malgré tout de privilégier la performance à l'économie pure.
Un système ouvert, c'est laisser la possibilité à une équipe comme Vitality de se hisser en Major cinq mois après sa création, à la force du skill, et de renouveler constamment le top mondial
En avril, HLTV a mené une longue interview avec Jordi Roig, vice-président du développement commercial et des partenariats chez RFRSH. À la question "Êtes-vous à la recherche d'une exclusivité sur la scène", sa réponse a été "Pas maintenant, non". Pas juste "Non". Évidemment, cela inquiète plus que cela ne rassure quant à l'avenir de la scène envisagé selon cette entreprise. Mais cela veut aussi dire qu'il reste du temps avant qu'elle ne pose peut-être le deuxième jalon d'un système encore plus grand qu'un simple circuit clos regroupant sept équipes.
Du temps utile à ses concurrents pour réagir, aux équipes et joueurs pour savoir s'ils veulent vraiment faire partie d'une scène fonctionnant ainsi, mais aussi (et cela en fera sourire certains, mais quand même) à Valve, qui aura son mot à dire si un organisateur décide de transformer considérablement l'écosystème d'un de ses deux jeux majeurs, en prenant au passage la plus grosse part du gâteau.
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