Pourquoi raconter Counter-Strike ? Pourquoi passer des heures à fouiller sur de vieux sites, regarder des matchs joués il y a des années, retrouver des joueurs qui ont connu leur heure de gloire en 2008 ? Pourquoi écrire tout ça, l'effacer, le réécrire, le relire ? Pourquoi faire du montage vidéo, audio, de la promotion sur les réseaux sociaux ? Pourquoi s'intéresser autant à celles et ceux qui ont façonné la légende d'un jeu vidéo, toujours le même ?
Ces questions, je me les suis régulièrement posées au cours des neuf dernières années, sans jamais trouver de réponse satisfaisante. Ou plutôt si, toujours la même : parce que ça me passionnait. Aussi bizarre et futile que cela puisse paraître, raconter l'histoire de Counter-Strike m'a passionné, fasciné, obsédé pendant quasiment une décennie.
Archéologie 2.0
Dans le monde de l'esport, Counter-Strike se distingue par son incroyable longévité. Plus d'un quart de siècle que la beta du premier CS a vu le jour, quasiment autant d'années que des tournois opposent Suédois, Américains, Danois, Ukrainiens, Français et autres Brésiliens. Vingt-cinq années de péripéties dans lesquelles se plonger.
Raconter Counter-Strike, c'est donc souvent raconter une époque qui n'existe plus. Une époque où les finales des plus grands tournois se disputaient dans des gymnases et des halls d'exposition, où les équipes qui s'affrontaient pouvaient s'entendre tant elles étaient proches, où les plus belles actions n'étaient pas immortalisées par des clips Twitch mais par des moviemakers caméra au poing derrière les joueurs, où un journaliste de HLTV ou un joueur de Quake pouvaient servir de stand-in aux meilleures équipes du monde.
C'est aussi raconter un écosystème qui a disparu : celui où les Gamers Assembly et l'ESWC étaient les rendez-vous francophones de l'année, celui où la sortie d'une fragmovie pouvait tenir en haleine toute une communauté, celui où VaKarM faisait des projets partout, tout le temps.
Pour ranimer ce passé, le temps d'un article ou d'une vidéo, il faut enfiler son chapeau d'archéologue. Tenter de retrouver des vieilles archives sur Internet, c'est un peu comme chercher un trésor. Il faut juste garder à l'esprit qu'on ne sait pas quelle forme prend le trésor, ni même s'il existe réellement.
Une bonne dose d'abnégation permet de retomber sur d'antiques forums américains sur lesquels s'exprimaient Minh Le et Jesse Cliffe lorsque Counter-Strike n'en était qu'à ses débuts. Un site polonais qui retraçait en direct le premier affrontement de NEO et f0rest à l'Optihack 2005, lorsque les deux n'étaient encore que des gamins. Des médias japonais persuadés qu'en effet, cette version de Counter-Strike pensée pour un cybercafé va sûrement cartonner. Ou des commentaires improbables où krL, Ex6TenZ et NiaK se cherchaient copieusement avant d'aller en découdre en lan.
Passer sa soirée sur Google Trad pour déchiffrer de vieux sites japonais qui parlent de Counter-Strike Neo,
n'est-ce pas là une certaine définition du bonheur ?
Retomber sur de vieux sites encore debout relève parfois du miracle tant on ne sait pourquoi quelqu'un continue à payer le nom de domaine d'un lieu à l'abandon depuis des lustres. Lire des posts figés dans le HTML, des pseudos que même leurs détenteurs ont probablement oublié, des articles qui ont, vingt ans plus tôt, préoccupé l'esprit tout entier de leur auteur, a quelque chose d'enivrant.
Et puis, c'est de moins en moins vrai à mesure que le temps passe, mais tout de même : raconter Counter-Strike, c'est être à peu près certain de raconter une histoire que personne d'autre n'a jamais raconté, surtout si l'on se restreint au contenu français. Le football, l'alpinisme, la peinture, la finance, n'importe quelle personnalité un tant soit peu reconnue : sur une grande majorité de sujets, vous arrivez après tout le monde. Il existe déjà un livre, un article, un documentaire, une page Wikipédia qui parle de ça. Sur Counter-Strike, à de rares exceptions près, vous êtes le premier.
lepolac, ancien admin de lans, l'avait parfaitement résumé lorsque l'on évoquait l'ESWC 2006 à Bercy et son statut de précurseur dans l'esport : "Je suis fier de par l’impression d’avoir participé à quelque chose de gros, même si ma contribution n’est pas énorme non plus. Mais oui, j’ai le sentiment d’avoir appartenu à une sorte d’épopée. C’est peut-être un grand mot, mais il y a un peu de ça quand même. Je trouve qu’il y a quelques domaines comme ça qu’on peut trouver, dans une vie, dans une carrière, où on peut avoir la chance d’être là assez tôt, au bon endroit au bon moment."
Un quart de siècle plus tard
Raconter Counter-Strike, c'est également raconter des évolutions. En vingt-cinq ans, le jeu et sa scène ont bien changé. L'esport est devenu un marché pesant plusieurs centaines de millions de dollars. Investisseurs, sponsors et influenceurs continuent de se multiplier juste assez pour que la bulle n'éclate pas, tandis que les meilleurs joueurs de la planète gagnent maintenant des salaires à cinq chiffres.
Counter-Strike est réellement devenu global : les compétitions les plus prestigieuses du monde ont désormais lieu à Paris, Cologne, Sydney, Rio de Janeiro ou Boston. Elles regroupent des équipes venues des quatre coins du globe, et plus seulement de quatre nations se partageant toutes les médailles. Tout s'est professionnalisé, des équipes aux organisateurs, des médias aux commentateurs.
La professionnalisation c'est super, mais a-t-on vraiment réussi à surpasser GoY et Personne ?
Et puis bien sûr, les principaux acteurs du milieu compétitif ont changé. Les noms qui ont marqué leur époque et ont aujourd'hui disparu, les matchs qui ont été gravés dans l'esprit de ceux les ayant vécus en direct, les équipes qui ont surpris tout le monde le temps d'un tournoi puis n'ont plus jamais rien fait : tout ça peut se raconter, doit être raconté. Pour célébrer, pour rendre hommage, pour faire remonter des souvenirs, pour que les nouveaux suiveurs de la scène découvrent tout ce qui a existé avant.
Pour s'interroger, aussi. Raconter, ce n'est pas seulement rapporter. C'est aussi remettre en question, ouvrir un débat, interpeller. Il est parfois même vital de le faire, à la vue de certaines évolutions qui transforment l'esport en un vulgaire outil de propagande ou en machine à brûler du carbone.
Il ne s'agit pas de toujours chercher la petite bête, simplement d'être conscient des différentes facettes de l'esport. Ce sont des hommes et des femmes qui jouent à des jeux vidéo, certes, mais ce sont aussi des problématiques économiques, sociales, politiques, dont il faut tenter d'expliquer les enjeux.
Créer pour vivre
Si je me suis immergé avec autant de vigueur dans CS et sa scène esportive, c'est parce que je l'ai découvert à un moment de ma vie où je m'ennuyais, où je cherchais à m'occuper en faisant des choses qui avaient du sens pour moi. Raconter Counter-Strike a su répondre à ce besoin : pendant neuf ans, j'ai eu l'impression d'être utile, d'apporter ma pierre à quelque chose de plus grand que moi, d'avoir ma place dans la grande temporalité du monde.
Aurait-il été possible de ressentir la même chose avec un autre sujet ? Si une autre passion m'avait assailli peu avant mes vingt ans – la danse, le jardinage, le mah-jong, que sais-je encore –, le résultat aurait-il été le même ? Je pense que oui, au moins en partie. Parce que dans "raconter Counter-Strike", il y a "Counter-Strike", formidable jeu vidéo, mais il y a surtout "raconter", qui est peut-être encore plus important. Car raconter, c'est créer quelque chose.
Créer est un processus souvent long, parfois chiant, toujours en décalage avec l'idée que l'on avait en tête à l'origine. Mais je crois aussi que c'est l'une des plus belles choses qu'il soit possible de faire. Créer apporte du sens. Créer permet d'oublier ses tracas, de donner une direction, de laisser une trace. Créer peut sauver de l'ennui, de la solitude, de la déprime. Créer n'apporte pas de réponses à tout, mais peut participer à éclaircir bien des questions.
On a laissé un magazine VaKarM dans une étagère du Airbnb où on a fait l'envoi des colis.
Peut-être qu'un jour, il créera une vocation chez quelqu'un de passage.
Pour moi, la création s'est manifestée sous la forme, aussi improbable soit-elle, de raconter des histoires sur Counter-Strike. Mais il est aussi possible de faire des vidéos, de la musique, du dessin, de la photographie, de la cuisine, de l'horticulture, des événements et tant d'autres choses encore. Ce qui compte, c'est de créer, parce que les sentiments que ça procure sont extrêmement puissants et peuvent profondément impacter une vie.
Demain, je ne sais pas si je m'intéresserais encore à CS. La passion n'est plus la même, le jeu et sa scène ont changé, VaKarM va mourir, et voir des gens dans la vraie vie, c'est quand même sympathique. Mais j'espère que je créerais encore, autre chose, autrement.
J'espère aussi que d'autres continueront à raconter la grande et, surtout, les petites histoires de Counter-Strike, celles qui demandent d'aller fouiller les recoins oubliés du net. Qu'ils ressentiront ce que j'ai pu ressentir lorsque l'idée que l'on a en tête prend vie. Et qu'ils trouveront des endroits aussi libres que VaKarM pour les accueillir.
Parce que malgré ses évolutions discutables, malgré l'esportswashing, malgré Valve, Counter-Strike en vaut la peine, pourvu que l'on creuse suffisamment. C'est un fantastique terrain de jeux pour créer.
"Ton coffret, le voici. J'y ai déposé tout ce que j'ai, ou presque, et il n'est pas plein. La douleur et la passion y sont,
les bons jours et les mauvais, et les mauvaises pensées comme les bonnes, le plaisir de façonner et quelque désespoir,
et la joie indescriptible de créer."
John Steinbeck
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