Les premières compétitions autour de CS:GO et des jeux vidéo ont eu lieu au début des années 2000, mais ce n’est que longtemps après que le législateur français s’est emparé de la question des compétitions de jeux vidéo dans la loi dite "pour une République numérique" du 7 octobre 2016. Celle-ci a ensuite été complétée par un décret du 9 mai 2017.
Avant 2016 : La grande loterie des tournois
Avant cette loi, les compétitions de jeux vidéo étaient soumises au régime des loteries. Or, le Code de la sécurité intérieure, en son article L. 322-1, dispose que "les loteries de toute espèce sont prohibées".
Comme nous l’avions déjà évoqué lors d’un article sur les skins, afin qu’un jeu soit considéré comme une loterie, il faut que quatre critères soient remplis: l'existence d'une offre publique (i), offrant, en l'échange d'un sacrifice financier du joueur (ii), l'espérance d'un gain (iii), fonction, même de manière infime, du hasard (iv).
Les trois premières conditions ((i), (ii) et (iii)) sont remplies sans le moindre doute pour une compétition ouverte au public avec un cashprize ou des lots à la clés.
C’est plutôt la dernière condition (iv), le hasard, qui posait le plus de questions.
Est-ce qu’il y a vraiment du hasard dans une partie de CS ? Les milliers d’heures d'entraînement des joueurs, les stratégies mises en place, la communication, les choix faits relèvent-ils réellement du hasard ? La question méritait d’être posée dans un milieu où les décisions sont prises à la milliseconde et où les réflexes des joueurs peuvent paraître inhumains.
Le hasard ou le talent ?
Si la RNG (Random Number Generator) est peu présente dans CS:GO, contrairement à d’autres jeux compétitifs comme Fortnite, elle existe cependant bel et bien dans le jeu de Valve. En effet, les balles ne partent pas toujours droit, et même la première balle tirée (First Shot Accuracy) n’atteint pas à tous les coups la cible visée.
Il y a donc une part de hasard dans les jeux vidéo, même si celle-ci peut se révéler infime quand les joueurs deviennent très expérimentés. De toute les manières, le législateur, en 2014, avait anticipé cette argumentation dans le cadre du poker. L’article L322-2-1 du Code de la sécurité intérieure explique que l’interdiction des loteries recouvrait aussi les jeux dont le fonctionnement repose sur le savoir-faire du joueur.
Les compétitions de n’importe quel jeu vidéo étaient donc considérées comme des loteries, et interdites.
Depuis 2016 : Des avancées limitées
Sous l’impulsion du député Rudy Salles et du sénateur Jérôme Durain, l’article L321-9 du Code de la sécurité intérieure issu de la loi pour une République numérique est apparu et a exclu des loteries (dorénavant appelées "jeux d'argent") les compétitions de jeux vidéo, sous certaines conditions.
La remise du rapport de nos deux compères à l'ancienne secrétaire d'État chargée du Numérique
Tout d’abord, cet article ne concerne que les compétitions "en la présence physique des participants", mais nous y reviendrons. Ensuite, le total des frais d’inscriptions ne doit pas être supérieur au coût de l’organisation de la compétition (lots et cashprize inclus). Aussi, si les lots ou cashprize dépassent 10 000 €, alors l’organisateur va devoir prouver qu’il sera capable de verser les sommes en question, cela afin d’éviter les impayés.
Enfin, l’organisateur doit déclarer au ministère de l’Intérieur la compétition qui va se tenir via un formulaire détaillant la tenue de la compétition et le profil de l’organisateur.
Grâce à cet article, il existe donc un régime dérogatoire pour les compétitions physiques de jeux vidéo, permettant que de tels événements aient lieu en France sans qu’il puisse y avoir de retombées pénales si les conditions précitées sont respectées.
Le cas particulier du online
Toutefois, les compétitions en ligne de jeux vidéo, ne respectant pas le critère de présence physique des participants, sont toujours considérées comme des jeux d’argent lorsqu’il y a des frais d’inscription. Il est ainsi illégal d’organiser un tournoi online avec un droit d’entrée en France : il faut qu’il soit gratuit.
On pourrait penser que rien n’a avancé pour le online suite à cette loi mais avant celle-ci, même les tournois gratuits pouvaient être considérés comme illégaux car il y avait un sacrifice financier pour le joueur avec l’achat du jeu (même si le modèle économique actuel tend vers des jeux gratuits pour les plus gros titres compétitifs) et les frais d’accès à internet.
Si nous lisons bien les articles L321-11 et L321-9 du Code de la sécurité intérieure, nous comprenons que, certes, seules les compétitions physiques peuvent être payantes mais pour celles en ligne, il n’y a pas de sacrifice financier du fait de l’acquisition du jeu vidéo ou du paiement de son abonnement à son fournisseur d’accès préféré.
Or, avec le Covid, les événements en ligne se sont multipliés, au point parfois d’être trop nombreux et d’apporter des résultats différents des lans. Pendant cette période, il était donc impossible pour des Français d’organiser des tournois payants au vu du contexte sanitaire qui interdisait tout rassemblement physique.
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apEX épuisé par le online
La peur d’un écosystème encore jeune
L’une des raisons évidentes et évoquées par le "Rapport intermédiaire concernant les compétitions des jeux vidéos" de Rudy Salles et de Jérôme Durain est le risque de triche, qui est plus important sur le net que lors des compétitions hors ligne. Ce risque est réel, comme nous avons pu le constater chez les professionnels durant les qualifications pour le Major.
Les autres risques existants sont le blanchiment d’argent les problèmes d’addiction pour les joueurs. Concernant cette dernière, il est possible de penser à une plateforme permettant d’enchaîner les 1v1 sur CS:GO en mettant à chaque fois une petite somme d’argent en jeu, et ressemblant au final davantage à un casino qu’à un jeu vidéo.
Des conséquences directes pour l’esport amateur
Au niveau de l’élite, les conséquences sont quasi inexistantes car les compétitions sont internationales et il est très simple de ne pas appliquer la loi française. De plus, les cashprizes sont la plupart du temps issus des dotations fournies par les sponsors ou par l'éditeur lui-même, ce qui réduit les risques d'impayés de la part des organisateurs.
En revanche, pour l’esport amateur, cela a un impact. Prenons l’exemple de l'Epsilan. En 2019, pour la 16ème édition se déroulant en physique, il n’y avait qu’un tournoi CS:GO avec un cashprize de 5 000 €. Pour l’Epsilan #17 qui a eu lieu à Épinal juste avant le premier confinement, la récompense pour le tournoi sur le jeu de Valve était de 4 000 € (et 2 000 € pour Fortnite). La prochaine édition, quant à elle, aura lieu en ligne mi-octobre avec un cashprize de 1 250 € par jeu (CS:GO et Valorant).
D'après le staff de l'Epsilan, cette baisse s'explique par l'absence des frais d'inscriptions mais aussi par le manque de spectateurs et le fait qu'un événement en ligne fasse moins rêver les sponsors car ils ne peuvent pas afficher leur logo sur place, réaliser de belles photos de promotion de produits, monter des stands, etc.
2020 (en haut) vs. 2021 (en bas)
Malgré le faible coût d'une édition en ligne, la baisse du cashprize s'explique ainsi par de multiples raisons, toutes liées à la délocalisation sur Internet. D'autres exemples de lans illustrent ce phénomène, que ce soit la Nantarena qui est passée de 1 875 € pour son dernier événement physique à 225 € (dont 25 € en skins) sur le web, ou l’UTT Arena qui a divisé son cashprize par deux entre 2019 et 2020 (1 450 € contre 700 €). Reste à savoir si le tournoi 2021 qui doit avoir lieu en physique permettra de retrouver un plus gros montant.
Si les dotations sont plus faibles, cela va attirer moins de grosses équipes ou démotiver certains joueurs et, à terme, entraîner une baisse du niveau global. Et dans le même temps, un cashprize plus faible n'entâche pas le travail considérable abattu par les organisateurs (souvent bénévoles) de ces événements.
Et maintenant, comment rectifier le tir ?
France Esports, l’association à l’oeuvre pour l’esport en France, est consciente de la situation et voudrait agir afin de modifier la législation actuelle. Mais lors des ateliers de rentrée de 2021 de l’organisme, Stephan Euthine, son président, a annoncé que le sujet prioritaire au niveau légal était le contrat de travail et qu’il manquait de ressources humaines pour être présent sur tous les fronts.
Afin d’améliorer la situation, la piste qui semble adéquate est l’encadrement des compétitions en ligne, avec par exemple une labellisation de certains organisateurs pour qu’ils puissent mettre en place des tournois online payants. Grâce à cela, il serait plus facile d'organiser des tournois sur Internet, d'avoir un écosystème plus facile à gérer, et de voir la scène amateure et subtop se développer davantage.
Il ne reste plus qu'à prendre son mal en patience et espérer que le futur proche permette à nouveau d'organiser des lans sans trop de contraintes.
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